Isabelle LAPLANTE, Nicolas DE BEER
Dans le champ de la relation d’aide, je constate parfois des positions qui me surprennent. Tenez par exemple, les professionnels du coaching qui disent pratiquer dans le domaine des "sciences humaines".
Dans les sciences dites dures, l’exception infirme la règle, et la remise en question de vérités provisoires se fait tous les jours. Ceci se fait par l’inclusion nécessaire de nouvelles découvertes, de contradictions, d'abandon de vérités (toutes provisoires), etc.
Dans les sciences dites molles, l’exception confirme bien souvent la règle. Cela se manifeste par une nouvelle classe de "maladies". Le DSM* est bien passé de 20 maladies répertoriées à plus de 200 de nos jours. Il y aurait donc, les gens normaux (ayant des déviances, névroses, décalages, etc. supportables par la société) et les anormaux que l’on devrait "cantonner", mettre dans un canton particulier -des hétérotopies dirait Michel Foucault- des classes d’individus quelque part "a-sociaux". Des vérités mises à jour seraient devenues patentes, difficiles à re-mettre en question (le changement prend du temps, la résistance est inhérente au changement, l'inconscient existe, le transfert est inéluctable et vous ne pouvez y échapper, l'identité est unique, la nature humaine existe, les rêves ont un sens...).
Mais, venons-en à notre propos, le coaching. Celui-ci est une discipline se situant clairement dans le champ de la relation d’aide. Sa particularité, pour nous bien-sûr, est de travailler avec des personnes dans leur rôle de professionnels dans un contexte professionnel défini. Le travail contextualisé est bien une des particularités du coaching. A quoi nous pourrons rajouter que le client est compétent, que nous définissons ensemble le nombre de séances au préalable, une direction de travail, des indicateurs de résultat. Et que nous sommes garants d'une relation de parité, entre deux personnes adultes, entre deux êtres humains.
* Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (titre original anglais : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ; DSM).
Obligation de moyens, pas de résultats ?
Dans une relation entre un prestataire de services et une entreprise, nous mettons en place un contrat synallagmatique. Dans toute relation commerciale, acheter une prestation signifie un livrable, un résultat.
Eh bien, depuis des années, et encore lors d’un colloque récent, nous avons pu entendre de la part de nombreuses personnes se revendiquant professionnelles du coaching qu’elles avaient une obligation de moyens, mais pas de résultats.
En face de ces déclarations très en retrait, il y avait un directeur des achats et un cadre dirigeant qui avaient l’air effarés ! Comment imaginer acheter une prestation intellectuelle à un prestataire qui dit implicitement : "Je ne sais pas si ça va marcher ni en combien de temps ! Peut-être faudra-t-il ajouter des séances".
En bref, ce n’est pas sûr, on ne sait pas combien de temps ça prendra, et je ne peux vous garantir le prix. Quant au résultat, nous verrons ! Comment faire confiance à un contrat aussi peu précis ? Cela fait des années que ce problème ressort comme un serpent de mer.
Vincent de Gaulejac, un psycho-sociologue qui eut son heure de gloire doute, quant à lui, de la marge de manœuvre du coach : "Les coaches, s’ils ne se soumettent pas aux exigences de ceux qui les paient, est-ce qu’ils ne risquent pas de se retrouver sur la touche et comment ils font avec cette contradiction". Autrement dit, soit vous vous soumettez au diktat de l’entreprise et vous mangez, soit vous n’aurez pas de contrats. Pensée bien réductrice, voire simpliste. C'est ce que les professionnels appellent "une alternative illusoire". Le psycho-sociologue n’était pas plus au clair que certains des coaches dans la salle.
Comme si ces deux difficultés (l’engagement de réussite et la liberté d’action) étaient d’éternels angles morts du coach.
Pour répondre à ce double problème si souvent évoqué, nous vous répondrons comme suit. Nous l’enseignons dans nos formations depuis plus de 10 ans. Et les personnes formées ne rencontrent pas de problèmes de ce type, à cette suite. Il nous semble curieux de concevoir comme possible d’exercer ce métier sans être en capacité de traiter cette double question au cœur de l’éthique du coach. En effet ce n’est pas de l’ordre de la déontologie (règles/lois du métier) mais bien de l’ordre de l’éthique.
Si les différents syndicats professionnels n'évoquent pas dans leur code/charte de déontologie le mot résultat, ni cette nécessité, il est concevable qu'ils considèrent que ce n'est pas de l'ordre de la déontologie mais de l'ordre de l'éthique.
Le co-engagement vers le résultat
Plutôt qu'obligation de moyens et pas de résultats qui est devenu une expression toute faite qui n'amène plus aucune réflexion mais simplement une réponse toute faite, un langage convenu, peut-être même utilisé comme garde-fou personnel, nous allons lui préférer :
nous avons la responsabilité de mettre en oeuvre les moyens adequats et nous posons le "co-engagement vers le résultat".
La démarche amenant à l’obligation de résultat, ou co-engagement commencera souvent par un entretien avec le donneur d'ordre. Puis sera initié un entretien préalable avec le client (coaché). C’est un lieu d’investigation mutuelle, qui permet de vérifier qu’il est possible de travailler ensemble. Seront vérifiés l’accord sur la définition du métier et son territoire, la demande qui serait de l'ordre du coaching (et non de la formation ni du conseil), sur un objectif accessible avec des indicateurs tangibles, sur la relation (confiance mutuelle) et sur la légitimité professionnelle du coach. Sur le "comment nous travaillons en séance". Et enfin sur les modalités pratiques (lieu, fréquence, durée, coût). Si un de ces points pose question, voire problème, alors s’engagent des points de discussion. Et si les conditions nécessaires pour participer à l’atteinte du résultat ne sont pas présentes, le coach est libre (ou doit) refuser le coaching si les conditions ne sont pas présentes.
Les conditions de l’entretien préalable remplies, s’enclenche alors une réunion tri-partite (voire quadri-partite dans certains cas) entre le donneur d’ordre, le client-coaché et le coach. Cette réunion a pour objectifs de croiser les objectifs du coaché et du donneur d’ordre et d’en tirer un objectif officiel affichable, de vérifier que les indicateurs sont réalistes et partagés et que tout le monde est d’accord pour les atteindre (prescripteur, coaché, coach). Ceci fait, nous nous mettons d’accord sur la durée et vérifions qu’il est possible de travailler de concert. Cela veut dire que les trois (ou les quatre) se mettent d’accord pour engager l’action et contribuer au résultat !
A partir de la contribution mutuelle, à partir de ce co-engagement mutuel tri/quadri-partite, pourquoi voulez-vous, comment voulez-vous que nous n’atteignions pas le résultat souhaité alors que tout le monde abonde dans le même sens, s’accorde pour y arriver ?
L’obligation de résultat/co-engagement vers le résultat est de fait, en plus de l’obligation de moyens/responsabilité de mettre en oeuve les moyens adequats. Certains nous prendrons peut-être pour des optimistes béats. C’est peut-être bien leur pessimisme (ou leur inquiétude ?) qui les fait résister à l’obligation de résultat.
Beaucoup de "péripéties" se passent avant le coaching
Premièrement, le coach est en capacité d’évaluer ce qui est de l’ordre du coaching et ce qui ne l’est pas et qu’en conséquence il sait refuser une action de coaching qui n’en est pas une et sait la recadrer dans le champ pertinent (conseil ou formation).
Deuxièmement, le coach est un consultant qui, suivant les problématiques qui lui sont exposées lors de l’entretien initial avec le prescripteur/donneur d’ordre, peut, en tant que professionnel, générer pour sa structure des contrats soit de l’ordre du conseil, bilan..., soit de l’ordre de la formation, soit de l’ordre de la médiation, soit de l’ordre du coaching (individuel ou de groupe) soit une combinatoire pertinente pour le client prescripteur, etc.
Dans certaines grandes entreprises, d’ailleurs, on vérifie que le coach fait moins de trente pour cent de son chiffre d’affaires dans le coaching individuel. La majeure partie étant consacrée à d'autres prestations de service en entreprise (conseil, formation, accompagnement d'équipes...). Car sinon, il risque et d’être privé de son indépendance et d’être débranché du monde l’entreprise.
Dans le coaching, il y a donc obligation de moyens et de résultat. Ce que nous appelons "le co-engagement vers le résultat". Le meilleur moyen de valider qu’une démarche de coaching est possible, c’est bien d’écouter la première demande venant de la hiérarchie.
Tout se passe avant le coaching. Si le coach a tout validé avec chacun des protagonismes, chacun peut "se co-engager" vers le résultat. L'atteindre ensemble devient possible.
Le courage du résultat est une des composantes du professionnel, et il participe à le rendre légitime auprès de ses clients.
8 commentaires(s)
Merci pour cet article qui aborde ce sujet.
J'ai toujours été très choqué par cette phrase "obligation de moyens et non de résultat" ! Merci pour cette explication claire du : comment le résultat est nécessairement atteint grâce à ce "co-engagement".
Je suis tout-à-fait d'accord avec ces propos.
Hélène
J'avais zappé cet article... Et suis heureux que les hasards d'une discussion me permettent de croiser à nouveau son chemin (clin d'oeil au dernier film de Fernando Meirelles)
Evidemment, l'engagement vers le résultat suppose pour le coach une confiance en ses propres compétences professionnelles : les compétences mises en oeuvre dans "l'acte de coaching" bien entendu, mais aussi les compétences mobilisées pour la définition de la mission et son acceptation ou pas. Je pourrais presque systématiquement m'engager sur les moyens avant même d'avoir rencontré le client/prospect, mais l'engagement vers le résultat demande au coach d'avoir déjà effectué une forme de travail avec lui.
Merci à l'auteur d'enfoncer le clou en rappelant que les coachs sont des professionnels qui s'engagent.
Je vous remercie pour votre article. Cela fait bien longtemps que je considère la posture du coach orienté moyens est une position "illégitime". D'ailleurs, en tant que prescripteur, jamais je ne contracte avec un coach qui ne s'engage pas.
Bravo pour votre prise de position !
Merci pour cet article qui nous faire réfléchir sur les « idées reçues ». Et puis ce que tu nous écris là est en totale cohérence avec ce que toi et Isabelle Laplante vous nous enseignez. Pour moi, cette réflexion entre naturellement dans les fameuses hypothèses fondatrices du coaching. Elle est, de mon point de vue, de même nature et de même importance que la notion de cadre.
Cet antagonisme obligations de moyens et obligations de résultat me ramène à mes premières années de droit. Antagonisme classique, pont aux ânes des juristes en herbe. A vrai dire la simplicité de lantagonisme cache un monument juridique que même la jurisprudence prudente, pragmatique, et en fin de compte humaine na pas su totalement mettre au clair. A tel point quelle dut inventer des catégories juridiques intermédiaires permettant soit datténuer le caractère abrupt de lobligation de résultat, soit de rigidifier le supposé relâchement de lobligation de moyens.
Thème récurrent donc qui nest que le reflet de la peur des uns et des autres. Dun côté peur du client de ne pas être livré et peur du prestataire de ne pas être payé. Car, sait-on jamais, la faute se trouve pendue au-dessus de nos têtes comme lépée de Damoclès. Et comme la confiance a ses limites. ..
Pour abonder dans ton sens, je pense que le choix de lune ou de lautre forme de lien juridique (ce qui sous-tend la notion dobligation) peut refléter un état desprit très différent . Ainsi celui qui se sent lié par une obligation de moyens me semble sûr de pas grand-chose et, en tout cas, en aucune façon du résultat. Il préfèrera alors nengager que sa bonne volonté. Le lien dans cette perspective apparaîtra comme très distendu, voire très «lâche » au point que son éventuelle rupture naura finalement aucune conséquence grave, du moins pour celui qui lavance. « On a fait notre possible », « on était bien intentionné ». Le « cest pas ma faute » nest pas très loin. Ici le « on » devient sujet , c'est-à-dire une chose informe qui nest plus en mesure de répondre , dêtre responsable, dêtre engagé. Le « on » est dautant plus fantomatique quil est beaucoup plus ardu de prouver un manque de diligence dans lexécution dun engagement quun défaut de résultat.
De lautre côté effectivement , il y a le fameux résultat. Et face à ce résultat, il y a lengagement. Je (car le « je » est évidemment le sujet) mengage car je nai pas peur. Non pas ici une quelconque témérité mais une prise de risque calculée. Il ne sagit pas de sengager sur nimporte quoi, nimporte comment, avec nimporte qui. Au contraire, plus le résultat à atteindre aura été déterminé de façon précise, circonstanciée, réaliste, plus lengagement apparaitra comme naturel et professionnel. Cela est dautant plus vrai que ce résultat à atteindre a été co-défini.
Merci encore à l'auteur pour cet éclairage.
Je me souviens précisément de lentretien préalable avec Ian, directeur associé dun grand groupe de communication : mon engagement avec lui à avoir atteint son objectif à lissue du coaching - cette anticipation de la réussite - la dabord étonné, puis rassuré et convaincu : jusque là, tout en voulant ardemment atteindre son objectif, il nosait pas y croire vraiment.
Le co-engagement vers le résultat est donc une prise de position influente quant au processus.
Une fois litinéraire balisé, la progression vers le but à atteindre commence. Ça marche, à condition de remonter ses manches et sengager ensemble en partageant la responsabilité du résultat.
Merci à, l'auteur de réaffirmer la nécessité de ce courage comme aspect essentiel du professionnalisme dans la pratique de notre métier.
Roseline
Merci pour ce courageux article qui, comme souvent, me donne à penser ...
A bien y regarder, je me demande sil ny a pas un lien - plus fort quil ny paraît - entre l'introduction sur les typologies, les "vérités toutes faites", et le développement de cet article :
Certes, sous l'angle juridique, la qualification moyens/ résultats ne peut être éludée, puisqu'elle détermine la nature et donc lampleur des responsabilités. Gestion des risques oblige, donc..
Moyens/ résultats. Logique, en apparence binaire.
Raison de plus, jen suis convaincue, pour mettre en uvre la démarche éthique que tu décris, sagissant du processus pré- contractuel, démarche que jai trouvée si bien posée dans vos formations.
Moyennant quoi, la formalisation de laccord nest plus seulement un instrument de gestion des risques, dadministration de la preuve
Elle devient, en amont, une occasion salutaire de poser précisément le cadre et les modalités, de combler les zones de flou, d'anticiper les malentendus
.et par là, dentrer dans la relation, de faire émerger
et,dune certaine façon, de commencer le travail
Je crois effectivement que moyennant cette démarche éthique, la question des responsabilités - dont celle du coach - prend une autre tournure : Non plus « la question » dailleurs, mais autant dinférences juridiques quil y a dobligations, réciproques et précisément convenues point par point.
Et il me semble alors aussi, que ce que vous nommez si élégamment « le courage du résultat » y a, par endroits, sa juste place
Isabelle
Merci pour cet article qui me parle totalement. Cet article me permet d'éclaircir mon positionnement en la matière, ce qui me sert dans toute ma pratique de coaching ou de bilans de compétences.
Myriam
Merci d'aborder cette réflexion sous l'angle de l'éthique. Quelques échanges passionnés et récents sur le sujet m'ont amenée à relire cet article. Il me semble que cette question relie à la fois la notion d'engagement, et la notion de parité :
- engagement (et position) clarifié en tant que coach sur "ce à quoi je souhaite, je peux,...contribuer",
- engagement vis à vis du coaché,quant aux choix qu'il peut faire en toute liberté, libre arbitre,
- engagement vis à vis du donneur d'ordre,
- engagement aussi à rappeler les engagements,
- engagement à remettre en cause, si le besoin s'en fait ressentir, l'engagement ....
La parité, et le respect de l'autre (de tous )dans ses choix, et la confiance dans sa capacité à les exprimer....
Emma